Les grelots se font plus discret, il en subsiste deux, noués à chacune des chevilles de LE BATELEUR. En tant que symbole de commencement et de potentialités, LE BATELEUR n’est pas dans le mouvement, il est à l’orée de celui-ci ce qui nous mène à cette contradiction dont le Tarot se délecte : LE MAT symbole de mouvement, de la marche, est vierge de grelots au niveau des jambes alors que LE BATELEUR, élément fixe inaugural, en est pourvu.
Notons que la présence de grelots varie selon les Tarots : LE BATELEUR du Jean Dodal ou du Noblet n’en possèdent pas, celui de Nicolas Conver, sur lequel le jeu de Camoin / Jodorowsky se base grandement, oui.
Pourquoi les grelots ont-ils migré vers les pieds ?
Les grelots placés aux pieds sont un des plus vieux instruments de musique connu. On retrouve aussi les grelots sur la pointe de certaines poulaines, souliers allongés très en vogue au XIVe et XVe siècle. Une autre piste nous mène en Inde où existe un instrument de musique nommé Ghunghuru composé de grelots (jusqu’à 200) fixés à un support en cuir que l’on enroule autour de la cheville.
LE BATELEUR semble porter une chainette de cheville à laquelle est fixée un grelot unique, empruntant à la poulaine, le nombre et au Ghunghuru le système d’attache.
Reste la piste des chaussons de bébés. Les pieds sont pour le nouveau né un objet de jeu incontournable, à portée de main, doter de grelots, ils n’en sont que plus divertissant. Sous cet angle, les grelots témoignent de la fraîcheur de l’incarnation du personnage, LE BATELEUR comme l’enfant du Tarot : je l’imagine dans l’exercice de la marche. Il se tient debout en usant de ses membres inférieures comme de béquilles, deux supports rigides qui le maintiennent à la verticale pour peu qu’aucune autre force ne viennent à le dévier de cet axe précaire, appuyé en parti contre la table sur laquelle il saisit tout ce qui s’y trouve. LE BATELEUR est un enfant éclairé. Il tapote, tripote, manipule, met en bouche… Il appréhende le monde par les sens, il est happé par eux, mû par l’exaltation de la nouveauté et la curiosité insatiable de l’enfance.
Une autre question que nous sommes amené à nous poser : LE BATELEUR est-il conscient de la présence de ces grelots ? Sa vision semble s’arrêter à la surface de la table, au-delà de laquelle gît une vie tout au plus végétative. Or si ces grelots sont un instrument de musique, c’est-à-dire un mode d’expression, que devons nous en conclure ? Que son son est à l’état de veille, lui aussi tout en potentialité ? Nous pourrions imaginer les deux grelots qui ornent ses chevilles comme des résidus de ceux de LE MAT, un fragment de la 'vibration primordiale' (3) incarnée par ce dernier. En bas de carte, pour ne pas dire en fond de carte, c’est-à-dire dans les limbes de sa conscience, LE BATELEUR est le porteur inconscient du son des Dieux.
(3) in Tarots, pratiques et interprétations, Marcel Picard, p. 255, Éd. Albin Michel, 1987.
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